Le numéro 5 vient de paraître
Ce nouveau magazine 100 % nature, qui propose des balades à travers nos terroirs sous un angle naturaliste, m'a fait l'honneur de me passer à la questionnette, et d'ouvrir par là la tribune aux animaux. Ce numéro 5 nous emmène également dans les Deux-Sèvres, en Normandie, dans le Centre ou dans le Mercantour. Vous savez, là par où nos loups sont revenus...
http://www.nature-en-france.com/
Voici le texte de l'interview :
Voici le texte de l'interview :
Naturaliste de terrain, homme
de télé et de radio, écrivain spécialisé en zoologie, Marc Giraud répond aux
questions de Nature en France.
NEF : Marc Giraud, vous êtes
vice-président de l’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages)
et dans ASPAS, il y a le mot « animaux ». Aujourd’hui, on parle
beaucoup d’environnement, de biodiversité, encore un peu de nature mais de plus
en plus rarement d’animaux. Est-ce devenu ringard de s’intéresser aux
animaux ?
Pas pour tout le monde,
heureusement ! Il est vrai que pour certains, seul l’être humain semble
digne d’intérêt. Ils ne se penchent sur les animaux que s’ils leur
« servent » à quelque chose, ce ne sont pour eux que des objets
d’exploitation, au mieux des sujets d’amusement dérisoires. C’est de courte
vue, passéiste, ça a des relents de créationnisme. C’est ça qui est ringard.
Mais globalement, les animaux continuent d’attirer spontanément le grand
public. Les amateurs de nature et ceux qui ont des compagnons à quatre pattes
ne se posent pas toutes ces questions. De plus, un courant moderne
d’éthologistes (les spécialistes du comportement), de philosophes, voire de
juristes, s’intéresse aux animaux pour ce qu’ils sont réellement. Ces
chercheurs essaient de comprendre l’univers dans lequel vivent nos frères de
planète, et ça ouvre des portes gigantesques.
Quant au terme un peu
technocratique de « biodiversité », il fait sérieux dans les grands
discours. Mais nous sommes en train d’oublier la notion fondamentale de
« nature », alors qu’elle est tellement plus essentielle,
émotionnelle, vitale. Un journal qui s’appellerait « Biodiversité en
France », ça parlerait moins…
NEF : Est-il vraiment
nécessaire de protéger les animaux sauvages ?
Tout ce qui est vivant mérite le
respect, chaque espèce a sa place, on ne devrait même pas avoir besoin
d’argumenter là-dessus. L’ASPAS se bat entre autres pour les animaux décrétés
« nuisibles », une notion qui n’a aucune justification scientifique.
Par exemple, de plus en plus d’agriculteurs demandent la protection des renards
parce qu’ils sont de grands prédateurs de campagnols. Mais nous avons en face
de nous des lobbies puissants et bornés. Aujourd’hui en France, la nature n’est
plus réellement protégée sur le terrain. Qui sait que l’on chasse encore des
espèces vulnérables, et jusque dans les espaces théoriquement protégés, comme
le tétras lyre dans plusieurs Réserves naturelles (le Vercors, les
Chartreuses…) ? Qui sait que l’on a le droit de piéger à la glu, un
procédé aussi barbare que non sélectif, dans le Parc national des
Calanques ? Que le Parc des Cévennes est devenu une chasse privée
réclamant l’exclusion du loup ? à l’ASPAS,
nous avons donc décidé d’acheter nous-mêmes des zones de nature que nous
laissons en libre évolution, enfin à l’abri de toute exploitation. C’est une
mission de service publique pour les générations futures. Et nous demandons la
création d’un véritable ministère de l’écologie…
NEF : Il semble que le thème
des animaux sauvages soit moins d’actualité qu’il y a quelques décennies. À la
télévision, il n’y a pratiquement plus d’émissions thématiques sur les animaux.
Des documentaires spécifiques parfois, mais rien ne semble avoir vraiment
remplacé « La vie des animaux » des années 1960 ou « Les animaux
du monde » et autres « Animalia » des années 1970 et 80. Vous
avez-vous même une expérience dans ce domaine des animaux à la télévision. Quel
est votre regard sur le sujet ?
Le problème, c’est que les
décideurs des médias dominants sont essentiellement des urbains, voire des
mondains, obnubilés par la politique et les enjeux financiers. La règle d’or
des journalistes autrefois, c’était de répondre aux cinq W (Who, What, When,
Where, Why). Aujourd’hui c’est le règne des trois P : Pouvoir, Pognon,
Pipoles… Ils sont à l’image du monde artificiel dans lequel ils se complaisent,
mais pas à l’image du monde réel. Je généralise grossièrement, bien sûr, mais
c’est un peu ça ! Or, le grand public reste très demandeur d’informations
sur le monde vivant, sur le fonctionnement de la planète mais aussi sur la
nature de proximité, sur les animaux qu’ils peuvent rencontrer eux-mêmes. Je
l’ai toujours vérifié, que ce soit sur la chaîne Animaux ou sur TF1 (où j’ai
parlé d’animaux aux côtés de Christophe Dechavanne à « Coucou c’est
nous », avec toujours une démarche éthique).
Il existe quelques exceptions
lumineuses, comme « Vivre avec les bêtes » sur France Inter, une
émission animée par Elizabeth de Fontenay et Allain Bougrain Dubourg. Allain,
c’est notre chef de file médiatique, et je suivais ses reportages avec passion.
Il a payé cher ses positions de protecteur, notamment contre le braconnage des
tourterelles, car il s’est fait supprimer ses émissions télé. J’ai beaucoup
d’estime pour son courage. J’ai le bonheur de participer régulièrement à
« Vivre avec les bêtes », j’ai aussi celui d’avoir été l’auteur d’une
grande série télé sur notre patrimoine naturel : « La France
sauvage » (voir encadré). Les chaînes françaises produisent peu, mais
elles achètent à l’étranger, et il reste quelques bons programmes ponctuels
pour ceux qui cherchent un peu.
NEF : Vous avez longtemps
dirigé « Hibou », une revue pour enfants consacrée aux animaux.
Pensez-vous que les jeunes d’aujourd’hui montrent moins d’intérêt pour les
animaux ?
Oh non, les enfants sont toujours
les mêmes ! Les bébés sont fascinés par les autres êtres vivants. Dès
leurs premiers babillages, ils poussent des « wouah wouah ! » et
d’autres cris d’animaux. Nos instincts préhistoriques ne sont pas éteints. Mais
les enfants sont détournés de leurs pulsions fondamentales par notre culture
fanatique de technologie. Les jeux vidéo, ça bouge, c’est coloré, ça fait plein
de bruits. Incapable de résister à cet excès de super stimuli, le cerveau
humain est hypnotisé par l’écran, il s’habitue à recevoir les choses
passivement. La concentration, la patience, la curiosité ou l’expérimentation
par les sens se développent mal chez les enfants d’aujourd’hui, et le contact avec
la nature est rompu… Contre cela, les rapports avec un animal domestique ou des
balades dans la campagne restent des sources irremplaçables d’éveil sensoriel.
Les enfants m’ont beaucoup
appris. Parler avec eux, par l’intermédiaire d’un journal ou au cours d’une
sortie nature, est une grande leçon de communication : ils vous obligent à
être clair, à oublier le jargon et les préoccupations des spécialistes. C’est
très important de respecter son auditoire.
NEF : « Le Kama-sutra
des demoiselles », ou « Calme plat chez les soles », livres dans
lesquels vous faites découvrir des anecdotes amusantes et étonnantes de la vie
des animaux, ou encore vos émissions, connaissent un beau succès. Cette
nouvelle approche, moins encyclopédique, semble être un bon moyen de
ré-intéresser les gens aux animaux. En tant que vulgarisateur, que pensez-vous
apporter d’original au public ?
Vulgarisateur, ça me va !
Mon but est de montrer à un maximum de personnes que les animaux sont
passionnants. Une de mes armes favorites de sensibilisation massive est
l’humour : tout le monde aime rire, même ceux qui n’ont pas une grande
attirance pour les bêtes. Et l’humour est le meilleur support pour captiver
l’intérêt.
D’autre part, je parle de tous
les animaux : les gros, les minuscules, les familiers, les exotiques, les
sauvages ou les domestiques, mais aussi des comportements, de l’évolution, des
plantes, des interactions entre espèces, etc. Avec cette curiosité la plus
large possible, j’essaie de concerner tous les publics : aussi bien ceux
qui ne connaissent pas du tout la nature que les spécialistes, qui seront
peut-être surpris par des anecdotes touchant d’autres domaines que les leurs.
Enfin, j’évite les chiffres qui
ne parlent pas et les poncifs, la recopie de ce qu’on voit déjà partout. C’est
donc énormément de recherches pour dénicher les infos les plus inattendues et
originales, puis une traduction en langage accessible. Je fais un peu un boulot
de traducteur…
NEF : Pour rester dans le
vocabulaire, les termes actuels de développement durable, de protection de la
biodiversité, de responsabilité environnementale, n’ont-ils pas tendance à
éclipser les notions plus simples de défense de la nature ou des animaux ?
Ainsi, on ne dit plus « protéger les poissons » mais « préserver
les ressources halieutiques », un peu comme si l’on souhaitait éviter de
suggérer la notion même d’animal…
C’est tout à fait ça ! Nous
agissons comme si nous avions honte de nos origines naturelles et de
l’animalité qui est toujours la nôtre. Nous vivons dans une civilisation
anti-nature qui a été brillamment étudiée par le regretté François Terrasson,
chercheur au Muséum[1]. Il a trouvé
l’explication dans nos inconscients : nous avons horreur de ce que nous ne
maîtrisons pas, nous avons peur de la nature. Nous voulons tout
« désensauvager », y compris notre vocabulaire. Même le fait de poser
des nichoirs soulève question : les oiseaux libres auraient-ils oublié
comment construire leur nid ? La nature a-t-elle besoin de pancartes et de
sentiers balisés ? Serions-nous devenus incapables de supporter un endroit
sauvage sans signe de présence humaine ? Défendre la nature, c’est sans
doute d’abord la laisser tranquille. Elle se débrouille très bien toute seule
depuis des millions d’années, et la « gestion » de l’homme me semble
plus le problème que la solution.
NEF : Et les animaux
domestiques ?
Ah, très bonne question ! Je
suis désolé que tant de nos collègues naturalistes ne jettent pas un regard sur
les vaches ou les moutons dans les prés, comme si ces bêtes avaient moins de
dignité ou d’intérêt que les espèces sauvages. Or, il faudrait apprendre à les
regarder avec des yeux de naturaliste, justement. Nous avons la chance de
pouvoir observer des grands mammifères qui n’ont pas peur de nous, et qui nous
montrent leur comportement naturel. J’ai trois chevaux, et je passe des heures
à les regarder brouter, à décoder leur langage gestuel, leurs individualités,
les rapports qu’ils entretiennent entre eux et avec les autres… De même,
observer un chien ou un chat nous en apprend beaucoup sur leurs cousins
sauvages, et sans doute sur nous-mêmes. C’est aussi passionnant que le manège
des abeilles solitaires ou la parade nuptiale des busards cendrés. Tout est
passionnant.
NEF : Vous êtes l’auteur
d’un livre et d’une série de dix documentaires télé intitulés « La France
sauvage ». Pouvez-vous nous en parler ?
Oui, j’ai eu la chance d’être
appelé pour écrire les scénarios et les commentaires de cette série pour Arte.
Travail énorme ! J’ai cherché à montrer à quel point la France est belle
et diverse, comme si tous les climats du monde se donnaient rendez-vous chez
nous : eaux turquoises « tropicales » de la Méditerranée, forêts
boréales des montagnes, espèces africaines de la garrigue… sans oublier les milieux
de proximité qui me sont chers : le bocage de nos terroirs et la nature en
ville. J’ai voulu maintenir un équilibre entre les espèces prestigieuses et
incontournables (le cerf, l’aigle, le phoque…) et des bestioles moins
télégéniques, mais si importantes (le ver de terre, le bourdon, la mouche…).
Comme d’habitude, j’ai collecté les anecdotes les plus étonnantes pour stimuler
l’intérêt du public, mais pas gratuitement. Elles se tissent les unes aux
autres pour faire comprendre le fonctionnement global de chaque écosystème :
la course verticale vers la lumière pour la forêt, la résistance aux marées et
au retrait des eaux pour les espèces des rochers bretons, ou l’adaptation aux
pulsations des crues du fleuve libre pour la Loire.
Quasiment tous les cinéastes
animaliers de France ont été mobilisés sur dix milieux naturels. L’aventure a
duré trois ans. Sophie Marceau nous a prêté sa voix et son talent. Les images
sont magnifiques, et nous avons reçu des prix jusqu’aux états-Unis. L’auteur que je suis est particulièrement fier
qu’un épisode ait été nommé pour les meilleurs commentaires au festival de
Namur, et que le documentaire sur la forêt vosgienne ait décroché en 2011 le
prix du meilleur film pédagogique à Ménigoute. Et Ménigoute, c’est ma famille…
[1] Ses trois ouvrages, « La peur de la
nature », La civilisation anti-nature » et « Pour en finir avec
la nature », ainsi qu’un recueil de ses inédits, « Un combat pour la
nature », sont tous publiés aux éditions Sang de la Terre.
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